Du Coronavirus 19 comme accélérateur de connerie dans le travail social… à la création de l’association Divergences

Suite à la crise COVID et après cinquante ans d’existence, le GERSE (Groupe d’Etude sur le Soin et l’Education), association entièrement bénévole dont la raison d’être a été de favoriser des rencontres – directes et si possible fructueuses – entre personnes de tout statut ou condition s’estimant concernées par la vie et le sort de leurs frères humains en situation de handicap, de fragilité ou de décalage social, a décidé de changer de forme et de formule.

L’association DIVERGENCES, association des divers-gens de l’action sociale, va donc prendre le relai de cette humble quinquagénaire dont l’énergie commençait à s’épuiser à force de ramer à contre-courant des tendances désormais dominantes et même hégémoniques du secteur dit social et médico-social avec les fausses évidences et les faux-semblants qui les accompagnent, les faux-selfs qu’elles produisent et les faussaires qui les instruisent.

Ainsi, avec tous ceux qui  rejoindront l’association, DIVERGENCES va s’efforcer de créer et de propager à son tour grâce aux réseaux sociaux un virus destiné, tel celui transmis par l’enchanteur Merlin à la puissante sorcière « Madame Mim », à contaminer progressivement bon nombre de spectateurs passifs et désenchantés de l’évolution de plus en plus délétère de l’action sociale institutionnelle : non pour les transformer en participants dociles ou blogueurs ego-centrés d’un quelconque réseau social, mais en créateurs de liens au sein d’un espace démocratique d’échange et de dialogue critique sur le travail social, afin qu’ensemble ils y échangent des connaissances inédites et surtout qu’ils contribuent à animer un nouveau courant… mais un courant cette fois-ci à rebours du flux de la normalisation qui érode, dissuade ou dévoie tout engagement sincère.

Malgré un certain « pessimisme de l’intelligence », il s’agit donc de contribuer, dans le domaine que nous connaissons le mieux, à restaurer un minimum d’« optimisme de la volonté ¹  ».

Ainsi, que vous soyez parents, amis, professionnels, cadres, dirigeants, formateurs, personnes accompagnées, fonctionnaires d’une administration, etc., nous vous invitons à nous suivre, à nous rejoindre et à témoigner de la façon dont vous vivez les structures institutionnelles du (ou liées au) secteur social et médico-social et leur évolution.

Il s’agit donc, comme on l’aura compris, d’échapper à l’accélération de la connerie. Bien sûr, nous aurions pu dire bêtise, ineptie, stupidité, impéritie. Ou bien sottise, absurdité, inanité, incompétence.

Mais puisque, depuis près de vingt ans, bardés de leurs certitudes scientométriques, fardés de leurs bonnes intentions gestionnaires, lestés de leurs profils de carrière, lardés de leur suffisance statutaire, un nombre croissant de bureaucrates soumis au « ministère des contes publics ² » transfusent leur insuffisance de paperasse digitalisée depuis les pieds jusqu’à la tête d’un secteur d’activités dont les quelques mèches rebelles font désormais partie de la mise en pli, n’hésitons pas à parler de connerie : cela nous changera en outre de la novlangue de leurs communicants avec laquelle ils enfument et ensuquent les citoyens, c’est-à-dire grâce à laquelle ils « éveillent aux enjeux de demain les différentes parties-prenantes de la gouvernance des structures du secteur social et médico-social ».

Naguère le travail social n’était pas – faut-il rétrospectivement s’en attrister ? –   le meilleur des mondes.  Il est cependant en passe – faut-il s’en réjouir ? – de le devenir aujourd’hui ?

Certes la mue à rebours n’est pas achevée. Les papillons insoumis ne sont pas tous devenus des chenilles obséquieuses. Mais, paradoxe apparent, au nom de la performance et de l’injonction néolibérale au changement, la bureaucratisation conjuguée aux connivences sonnantes et trébuchantes avec les tenants de la marchandisation du monde, continue d’envahir ou d’annexer tranquillement les associations de solidarité et les organisations de service public. Avec son cortège de « bullshit jobs ³ » et de discours lénifiants aux sincérités successives.

Quelques exemples ?

– Malgré de prétendues difficultés de financement, les emplois administratifs se développent, ainsi que la part administrative des emplois qui étaient pourtant censés s’occuper au quotidien des publics accueillis et accompagnés évidemment placés aux cœurs des dispositifs créés à leur intention : les associations peuvent-elles d’ailleurs faire autrement ? Quand une société a la trouille et que les demandes se multiplient, soit on consacre des moyens à changer ce qui ne va pas, soit on les utilise pour gérer des listes d’attente. Et avaliser l’idée selon laquelle les plus faibles sont responsables de leur état.

– On trouve dans les emplois de l’accompagnement et du soin  de moins en moins de professionnels qualifiés exerçant le métier qu’ils avaient choisi, et de plus en plus de personnes sous-formées et mal soutenues occupant un emploi qu’elles finissent pas subir : comment pourraient-elles alors ne pas considérer comme inacceptable ce qui fait pourtant partie des composantes du métier et regarder le comportement troublé des usagers comme un facteur de pénibilité, sinon comme un risque psychosocial ? Ou l’accompagnement des éconduits de la norme comme un investissement personnel démesuré ?

– Les nouveaux managers associatifs et les représentants de l’administration ne connaissent souvent plus, et fréquentent encore moins, les (mauvais) sujets qu’accueillent ou que gouvernent leurs performantes entreprises : ont-ils jamais exercé, ne serait-ce que quelques mois, le métier de ceux qu’ils encadrent ou enrégimentent ? Des technocrates à l’humanité engourdie et des managers parasites sont-ils en mesure de soutenir leurs équipes alors qu’ils passent le plus clair de leur temps en réunions (ce qui ne leur déplaît pas nécessairement) pour gérer au mieux leurs boutiques face aux contraintes réglementaires, budgétaires, et désormais sanitaires (donc toujours réglementaires et budgétaires) qui leur sont imposées par d’autres technocrates et d’autres managers aussi peu enclins qu’eux-mêmes à fréquenter les populations en difficulté.

– Les projets institutionnels se rigidifient ; les places se raréfient ; les protocoles se substituent à la réflexion ; les initiatives non soumises à appel à projet ou à autorisation préalable déplaisent… N’y aurait-il plus que des associations gestionnaires ? Et gestionnaires de quoi, puisque les conflits et même les divergences ne sont plus acceptables ? Et que les handicaps et les inadaptations les plus manifestes demandent – ce que l’on sait depuis toujours – un temps, un investissement et un engagement humain à ce point importants que presque plus personne ne souhaite y consacrer l’intelligence et les efforts nécessaires dans les conditions de précarité et de mépris qui prévalent aujourd’hui. 

– Une inculture généralisée se répand : la parole des quelques prêcheurs légitimes du secteur, celle de formateurs qui se parfument d’un parcours universitaire complet mais n’ont jamais rencontré un délinquant, un fou, un handicapé ou un cas social, et quelques formations à visée aussi opérationnelle qu’illusoire peuvent-elles remplacer tout à la fois un travail de lecture et une intelligence pluridisciplinaire pourtant essentiels et un effort responsable pour ajuster et perfectionner ses gestes professionnels et ses attitudes personnelles…

Si autrefois peu de gens s’intéressaient vraiment au travail social tant cet espace d’institutions et de pratiques destinées aux « perdants » et aux « assignés » semblait en dehors du monde économique et social ordinaire, il n’en est pas davantage  qui s’y intéressent aujourd’hui, tant ce même espace s’est banalisé de ce double point de vue, tout en demeurant trop coûteux pour ceux qui se croient à l’abri des difficultés de la vie, ainsi que pour les dominants et les cupides qui ne feignent même plus de l’utiliser comme simulacre de leur désintéressement (dont la mise en scène leur apportait encore naguère quelques bénéfices symboliques).

Et personne ne s’y intéressera peut-être demain quand, devenu presque totalement inefficace, le marché n’aura plus besoin de prétexte pour s’en emparer et s’occuper, avec quelques contrôleurs de gestion, des seuls exclus… solvables.

Bien que cette évocation mette notamment en lumière les défauts et les turpitudes de nombre d’institutions, l’Association DIVERGENCES ne souhaite pas que l’espace qu’elle tente d’organiser se transforme en « bureau des plaintes » ou en déversoir d’un ressentiment, fût-il bien compréhensible. C’est pourquoi nous souhaitons accueillir témoignages, observations, enquêtes et commentaires comme des contributions à l’analyse multidimensionnelle du système actuel dans les mailles duquel nous sommes souvent empêtrés, et à l’élaboration de pratiques émancipatrices et d’engagements au plus près des personnes accompagnées par les divers établissements et services sociaux et médicosociaux. 

A cet égard, c’est en priorité aux personnes directement concernées (personnes accompagnées, familles, cadres, personnels de proximité…), mais aussi à des chercheurs suffisamment indépendants de tout intérêt de carrière qu’il revient de dire ce qu’il en est de la réalité des situations et des êtres qu’elles concernent. 

Ainsi, a contrario des spéculations, des interprétations statistiques ou des protocoles et recommandations de bonnes pratiques, pourra se légitimer un récit dans lequel chacune et chacun se trouve concerné, selon sa place, ses besoins, sa souffrance, ses espérances, son engagement, son souci de l’autre… et pourront s’ouvrir quelques voies de changement à l’écart de toutes les rationalités instrumentales qui détruisent l’humanité.


 ¹  Les deux expressions sont d’Antonio Gramsci qui déclarait dans ses Cahiers de prison : « Ogni collasso porta con sé disordine intellettuale e morale. Bisogna creare gente sobria, paziente, che non disperi dinanzi ai peggiori orrori e non si esalti a ogni sciocchezza. Pessimismo dell’intelligenza, ottimismo della volontà » (Chaque effondrement apporte avec lui un désordre intellectuel et moral. Nous devons créer des personnes sobres, patientes, qui ne désespèrent pas face aux pires horreurs et ne s’exaltent pas à chaque bêtise. Pessimisme de l’intelligence, optimisme de la volonté). Il dira également : « Sono pessimista con l’intelligenza, ma ottimista per la volontà » (Je suis pessimiste avec l’intelligence, mais optimiste par la volonté).

² Titre de l’ouvrage récent (2021) de Sandra Lucbert

³ Titre de l’ouvrage de l’économiste britannique David Graeber

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